Si la loi Lemoine a permis à de nombreux emprunteurs de réaliser d’importantes économies sur leur assurance de prêt immobilier, force est de constater que certains établissements bancaires tentent toujours de compliquer le processus pour qui souhaite aller voir ailleurs.
Un anniversaire, des économies et encore quelques questions. Votée en février 2022, la « loi du 28 février 2022 pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur », plus communément appelée loi Lemoine, permet à tout emprunteur de changer d’assurance de prêt immobilier à tout moment et sans frais. Elle est d’abord entrée en vigueur le 1er juin 2022 pour les nouveaux crédits immobiliers, avant de s’étendre à tous les crédits en cours au 1er septembre 2022.
Et à en croire plusieurs acteurs du milieu, les premiers mois ont montré l’appétence des emprunteurs pour ce sujet. « Dès le 1er juin 2022, et ensuite au 1er septembre 2022, on a vu le nombre de demandes de substitutions doubler voire tripler. Mais depuis quelques mois, on voit un petit tassement de la demande, qui s’explique aussi par le fait que les transactions sont en baisse », confirme Christophe Boiché, directeur des assurances de Meilleurtaux et membre du Comité consultatif du secteur financier (CCSF).
Manque d’information ou mauvaise volonté des banques ?
Dans un rapport de janvier 2024, le CCSF montre pourtant que seuls 4% des emprunteurs ont aujourd’hui changé d’assurance emprunteur depuis l’entrée en vigueur de la loi. « Les emprunteurs qui font la démarche de changer d’assurance sont ceux qui ont souscrit un crédit immobilier il y a un ou deux ans et qui ont encore la tête dans ces sujets-là, regrette Christophe Boiché. À l’inverse, on voit qu’il y a 15 millions d’emprunteurs qui n’ont pas encore fait la démarche alors qu’ils pourraient également réaliser des économies importantes. L’avantage financier est réel même pour les gens qui ont un crédit depuis un certain temps. »
Pourtant, les économies réalisées sont substantielles. « A l’échelle du groupe Magnolia, nous avons accompagné quelques 55 000 emprunteurs depuis juin 2022, ce qui a permis de redistribuer plus de 500 millions d’euros de pouvoir d’achat aux propriétaires (soit une économie moyenne de 9090 euros par dossier, NDLR) » explique Olivier Le Gallo, Directeur Général du Groupe Magnolia. De son côté, le CCSF fait état, dans son bilan, d’économies pouvant aller de « 5 000 à 15 000 euros sur la durée résiduelle de remboursement. »
Si les emprunteurs ne pensent pas encore forcément à faire les démarches nécessaires, ceux qui s’y aventurent peuvent parfois se heurter à la mauvaise volonté de certains établissements bancaires, à en croire certains acteurs du secteur. « Avec la reprise du marché du crédit immobilier, chez Magnolia.fr, nous avons pu constater que depuis le mois de mars, aucun dossier de nouveau crédit n’est accordé sans l’assurance groupe de la banque. Si cela était plutôt courant, aujourd’hui c’est une constante », assure Astrid Cousin, porte-parole du groupe. Le marché de l’assurance emprunteur deviendrait donc de plus en plus un marché de substitution plus que de délégation.
Plusieurs problèmes persistent également. Alors que la loi Lemoine impose un délai de réponse de 10 jours à la banque lors d’une demande de substitution, force est de constater que les délais ne sont pas respectés partout. Pour certains établissements, le temps de réponse serait même d’un à deux mois. « C’est plus un problème d’organisation que de mauvaise volonté, constate Christophe Boiché. Il faudrait que l’emprunteur qui souhaite changer d’assurance puisse avoir un interlocuteur dédié, qui ne soit pas son conseiller bancaire car ce n’est pas son rôle. »
« Les banques rivalisent d’ingéniosité pour faire échec aux demandes de substitution d’assurance emprunteur »
Certains professionnels parmi les assureurs alternatifs souhaiteraient également la mise en place de la gratuité d’édition pour le tableau d’amortissement. Ce document, donné à l’emprunteur en début de prêt, sert à calculer le montant restant dû et la durée restante au moment de changer d’assurance. Or, nombreuses sont les banques à facturer sa réédition ou à refuser la substitution d’assurance en cas d’erreur de l’emprunteur sur la durée ou le montant annoncé.
Enfin, dans un marché encore largement détenu par les bancassureurs (près de 80% des emprunts sont couverts par un contrat bancaire selon les chiffres du CCSF, NDLR), les établissements bancaires ne souhaitent pas forcément voir partir les clients et usent de plusieurs stratagèmes pour les retenir. « Encore une fois, les banques rivalisent d’ingéniosité pour faire échec aux demandes de substitution d’assurance emprunteur en introduisant désormais des conditions peu pertinentes dans des contrats packagés. Le but : rendre le principe d’équivalence de garanties impossible à tenir sans conséquences financières pour l’emprunteur. Pour les alternatifs, la tâche est compliquée : rester concurrentiels tout en préservant l’intérêt de leurs clients », assure le courtier Magnolia.fr dans un communiqué en date du 22 mai.
Contactée par MoneyVox, la Fédération bancaire française (FBF), explique en revanche « qu’à ce jour nous n’avons pas connaissance de dysfonctionnements structurels ou systémiques. » Face aux modifications « très importantes » apportées par la loi Lemoine au fonctionnement de l’assurance emprunteur, « la loi a d’ailleurs prévu dans son article 11 que le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) remette au Parlement un rapport, au plus tard deux après, sur les conséquences de son application », rappelle la FBF, en faisant référence au rapport publié par le CCSF mi-janvier 2024. « Le Comité a donc travaillé avec l’ensemble des parties prenantes (dont les assureurs, courtiers, banques, consommateurs, parlementaires) et sur la base d’une nouvelle analyse du marché de l’assurance emprunteur a publié ce rapport le 15 janvier dernier soit un délai suffisant après l’entrée en vigueur complète de cette loi. Le rapport, adopté à l’unanimité des parties prenantes a dressé un bilan très positif de la mise en application de la loi Lemoine. »
Pourtant, selon les chiffres du CCSF, la part de marché des contrats alternatifs externes dans les portefeuilles de crédit est passée, entre le 1er juin 2022 et le 31 mai 2023, de 15,5% à 16,1%. « À maintes reprises, la réglementation a tenté de faire bouger les lignes et d’ouvrir le marché à la concurrence, mais les bancassureurs réussissent à préserver leur quasi-monopole », conclut le courtier Magnolia.fr, pour qui les choses ne pourront pas bouger en profondeur tant que de véritables sanctions ne seront pas prononcées à l’encontre des établissements récalcitrants.